We have gone to the country, in your old car. We have lost our way, so many times.

Cela faisait au moins dix bonnes heures que je roulais sans m'arrêter. Les paysages défilaient vitesse grand V autour de moi et je n'y prêtais pas garde. Mes bras étaient crispés, ils vibraient sur le volant. J'avais appris à ignorer la douleur lanciante. La nuit commençait à tomber. Mes paupières se fermaient d'elle-même, trop lourdes pour résister. Il fallait que je m'arrête quelque part, n'importe où. Sûrement sur le bas-côté, je n'avais pas assez de sous pour me payer une nuit au motel, même le plus miteux de tous. Sur le bord de la route, une pancarte : « Santa-Rosa : 200 miles » Mon cœur eut un raté, de ceux qui te laissent le souffle coupé et les pensées ailleurs. Santa-Rosa. Je savais qu'un jour, il faudrait que j'y retourne. Pourquoi pas cette semaine ? Si ça se trouve, mes parents étaient déjà morts. Ils m'avaient peut-être oubliée ou remplacée par une inconnue recueillie sur le trottoir. Mes géniteurs ont toujours eu un grand cœur, alors pourquoi pas ?
J'imaginais toutes les solutions probables – ou inimaginables – et mes yeux se brouillaient de larmes. J'aimais mes parents et ils me manquaient. Partir sans me retourner, sans rien dire, était sûrement la chose que je regrettais le plus. Ils avaient du ressentir ça comme un abandon. À cause des larmes, ma vue devenait floue. Il fallait vraiment que je m'arrête. Je freinais et garais la voiture sur le côté. J'étais seule. Le vide, le grand vide, sans rien autour. La seule limite qui existait était celle que formait les étoiles, loin au dessus de mon crâne. Intouchables et fièrement dressées. Je m'assis derrière le van, à l'abri de la route et commença à me rouler un joint – habitude critiquable que j'avais prise au fil des soirées, moyen comme un autre de détendre mes muscles meurtris par la route fatigante et de faire le vide. Je resserrais ma veste autour de mes épaules. En tombant, la nuit était accompagnée d'un froid sec et désagréable. Je sortis un briquet de ma poche – zippo en argent, volé à Mona, que je ne m'étais jamais résolue à revendre à quiconque, c'était un souvenir comme un autre, un objet qui me rappelait la vie que je ne voulais jamais retrouver – pour allumer mon cône. Moi qui n'aurait jamais touché à aucune drogue il y a encore un ou deux ans de ça, j'étais devenue experte en peu de temps.

J'aspirais lentement sur le joint que je tenais entre mes doigts, tentant de me rappeler ce que je faisais sur les routes. Certes, j'avais fais de belles rencontres. J'avais aussi vécu de très bons moments. J'avais connu des sensations qui me seraient restées inconnues pour toujours si je n'étais pas partie. Mais la vie n'était pas facile tous les jours, loin de là. La vie sur les routes ne me permettait aucun faux pas. J'étais obligée d'être forte tous les jours. D'affronter tous les obstacles. De ne jamais flancher, même quand j'en avais envie. Comme ce soir. Les larmes commençaient à rouler sur mes joues. Je les chassais, du revers de la main.
Cherchant une position agréable, je m'allongeais sur le dos, observant les étoiles. J'avais toujours était passionnée par ces astres. J'aurais aimé briller comme l'une seule d'entre elles, ne serait-ce qu'une seule et unique seconde de ma vie. Mais je n'avais rien, rien de plus qu'un peu de maquillage et de vêtements osés pour briller. Et ce soir, plus que jamais, j'étais ridicule et terne. Au loin, j'entendis une voiture. Celle-ci freina brusquement et s'arrêta près de mon van bleu. D'un geste rapide, je tirais une dernière fois sur mon joint, l'écrasais et le jetais au loin, pensant qu'il s'agissait des flics. Je me retournais. Ce n'était pas une voiture de flic, mais c'était une voiture que je ne connaissais pas. Après deux secondes, sa portière s'ouvrit et la belle Billy en sorti. Malgré la fatigue présente sur ses traits, elle était sublime, comme toujours. Je lui adressais un large sourire, franc et amical, et me hissais avec difficulté sur mes pieds. D'une voix enrouée, je lui lançais : Comme on se retrouve ! Comme quoi, les gens ont raison, le hasard fait bien les choses. Tu vas bien ?
Chose certaine, elle allait mieux que la première fois que je l'avais vu, lors d'un concert de Mona. Compressée par la foule, elle était ce soir là à deux doigts de tomber dans les pommes.

I just fell to my knees

billy & bliss
une semaine auparavant

La route. Jamais je ne pourrais d'écrire l'attrait qu'elle a sur moi. Cela ne m'empêche pas de toujours partir, de ne jamais rester trop longtemps à un endroit. Parce que je pourrais trop m'attacher et ça me serait fatal. Je sais que j'en mourrai si je ne parviens pas à reprendre la route, si je trouve un port d'attache. Ça ne marcherait pas. Pas pour moi. J'ai besoin de liberté, c'est comme ça. Il en va de même avec les gens que j'aime. C'est vrai, j'ai fait de très bonnes rencontres sur la route. J'adore croiser Wanda et Gina avec qui je fais toujours un bout de chemin, je ne résiste jamais à l'envie d'arnaquer quelqu'un avec Anderson, n'importe quel coin paumé devient mon terrain de jeu avec Eva, j'aime avoir la surprise de voir la jolie silhouette de Bliss se dessiner à l'horizon, je prends même la peine de programmer des rendez-vous avec Claes mais pour la plupart, je me contente de hasard. J'apprécie ces moments privilégiés où l'on se retrouve, louant le hasard et la route qui ont su nous réunir. Si tout était planifié d'avance, le magique de la situation disparaîtrait. Fini. Envolé. Et ça, ce serait triste. Extraordinairement triste.

Le paysage défile par ma fenêtre et je le regarde évoluer. J'aime cette sensation, ce sentiment d'avoir tout à mes pieds. J'ai l'impression que rien ne peut m'atteindre et que je ne serai jamais plus en sécurité que sur cette route. C'est plutôt débile quand on sait sur qui on peut tomber mais je ne me suis jamais inquiétée. Oh bien sur, je suis déjà tombée sur quelques pervers mais la plupart du temps un refus catégorique, un coup bien placé ou un abandon du véhicule suffisent amplement. Au pire, j'ai toujours mon vieux colt sur moi. Je ne m'en fais pas, j'ai toujours su que j'aurai le courage de tirer le moment venu. En ce moment, je fais la route avec un type d'une trentaine d'année, un passionné de jeux vidéos, qui va rendre visite à sa sœur à Albuquerque. Il est assez ennuyeux mais assez gentil, aussi, alors ça va. De toute façon, j'ai pas envie de parler. J'aime bien le silence, des fois. Ça laisse mon cerveau respirer et faire le tri dans mes pensées.

Je suis à moitié endormie quand un van bleu attire mon regard et tout d'un coup, je ne le suis plus du tout. Il me faut moins d'une minute pour réaliser que je le connais, pour la bonne raison que c'est celui de Bliss. « Stoooooop ! » je hurle, assez fort et assez soudainement pour que le type freine brusquement et me regarde avec un air interloqué. Tiens, c'est bizarre mais je crois qu'il me prend pour une folle. Cela ne m'étonne pas tellement. Je lui adresse un grand sourire angélique, sauf qu'il me regarde encore plus bizarrement, détache ma ceinture et me contorsionne sur le siège pour attraper mon sac sur la banquète arrière. « Merci pour ce trajet, c'était sympa de ta part mais maintenant faut que j'y aille. Bye. » Et hop, je prends mes cliques et mes claques et je sors de la voiture. Bliss m'offre un immense sourire et se lève pour m'accueillir avec une voix enrouée. « Comme on se retrouve ! Comme quoi, les gens ont raison, le hasard fait bien les choses. Tu vas bien ? » Je souris en retour et me jette dans ses bras. Bliss fait partie des gens que j'adore et avec qui je m'entends parfaitement bien. Je l'aime beaucoup, c'est comme ça. « Je vais bien, merveilleusement bien, même si l'autre abruti a failli avoir une crise cardiaque quand je lui ai dit très calmement qu'il fallait qu'il s'arrête. Je n'ai toujours pas compris ce qui l'a choqué. Et toi ma belle, qu'est-ce que tu deviens ? » Je pose mon sac sur le sol et m'assoit dans l'herbe. « C'est chouette comme endroit, en plus, je parie que personne ne passe par là ! Enfin, personne sauf moi bien sur. » Oui mais moi ce n'est pas pareil, moi c'est le destin qui m'a menée jusque Bliss.

and i wish i was a comet to crash at your feet, just to be remembered.

Depuis que je parcourais les routes à la recherche d'un peu de vie, d'un peu de renouveau, de surprises, de rencontres et d'oubli, le hasard prenait une place important dans mon quotidien. Ne rien prévoir, vivre sa vie au jour le jour, éternelles vacances adolescentes, où rien ne compte plus que le plaisir et le désir. J'aimais ça. C'est une manière comme une autre de prendre une revanche sur la vie, de cette jeunesse passée trop vite passée et un peu gâchée. J'étais jeune et je resterais jeune toute ma vie durant. Jusqu'au jour où je déposerais mes valises, pour des beaux yeux ou pour respirer.
Toujours est-il que, pour l'instant, j'aimais ce qu'il m'arrivait. Que j'aimais le destin, l'aventure, les rencontres impromptues et la liberté. Oui, surtout la liberté.

J'avais un sourire immense plaqué sur le visage rien qu'à la vue de Billy. Voir une connaissance fait toujours un bien fou, surtout après plusieurs jours sur les routes, entouré d'inconnus plus ou moins accueillants. Son sourire à elle m'enchante. La jeune fille se jetait dans mes bras. Je ne pus m'empêcher de passer ma main dans ses cheveux, juste quelques secondes. Le joint que j'avais fumé n'aidait pas. Comme à mon habitude, j'avais envie d'elle. Un peu. Un tout petit peu. Je vais bien, merveilleusement bien, même si l'autre abruti a failli avoir une crise cardiaque quand je lui ai dit très calmement qu'il fallait qu'il s'arrête. Je n'ai toujours pas compris ce qui l'a choqué. Et toi ma belle, qu'est-ce que tu deviens ? Un léger rire s'échappait d'entre mes lèvres. Pourquoi ? J'imaginais tellement bien Billy poussait un grand cri pour arrêter la voiture que c'en était risible, vraiment. Je restais pensive un instant, réfléchissant à ce que je devenais. Bonne question. Comme à mon habitude, je ne sus quoi répondre, trouvant ma vie tout à fait inintéressante. Je... Ce que je deviens ? Je sais pas trop. J'ai vraiment le cerveau à plat. La journée n'a pas été vraiment facile. J'aimerais bien me poser un peu, mais je sais pas encore où, alors... Je laissais ma phrase en suspens. Je pourrais bien aller à Santa-Rosa. Oui, je pourrais. Mais non. Je n'étais pas sûre que ce soit une bonne solution. J'en oubliais même de lui retourner la question. Silencieuse, je m'assis à côté de Billy. Mes doigts, agissant presque seuls, jouaient avec les brins d'herbe fraîche. J'en arrachais trois ou quatre avant de les envoyer balader au loin. C'est chouette comme endroit, en plus, je parie que personne ne passe par là ! Enfin, personne sauf moi bien sur.

Elle avait raison. Le silence, tout autour, était cotonneux. Un peu épais. J'avais l'impression qu'il nous entourait, toutes les deux, formant une bulle autour de nos deux corps abandonnés à la nuit. Tu trouves ? C'est un peu désert quand même, non ? Mais, les étoiles sont si belles ce soir que je m'en fiche bien. Je sortais une cigarette du paquet enfoui dans la poche de mon pantalon. T'en veux une ? J'allumais le cylindre bicolore, soufflant la fumée vers le ciel et les étoiles. Un frisson parcourut mon corps, mais je n'avais pas le courage d'aller chercher une veste dans le van. Un sourire malicieux sur le visage, je me tournais vers la belle Billy : Alors, comme ça, on dort ensemble ce soir ? T'as bien de la chance, j'ai changé les draps hier soir. Et puis, c'est du cinq étoiles, grand confort, télé, clim et tout le tralala. Je souriais. Le confort ? J'avais oublié ce mot depuis longtemps, ce n'était pas plus mal.

Il ne fait aucun doute que Bliss est ravie de me revoir. Elle garde un large sourire sur les lèvres à ma vue et est plus accueillante que jamais. Je sens sa main dans mes cheveux quand je la serre dans mes bras et je ne peux m’empêcher d’apprécier le contact. Je crois que cette tension a toujours existé entre Bliss et moi. Il y a toujours eu un truc en plus de l’amitié entre elle et moi. On n’en a jamais parlé clairement mais ça n’est jamais disparu. Elle rit un peu quand je lui parle de l’arrêt d’urgence de la voiture et je me souviens combien j’aime son rire. Il est léger et frais et quand je l’entends, il me semble que tout va mieux. Décidément, c’est vraiment chouette que je sois tombée sur Bliss. « Je... Ce que je deviens ? Je sais pas trop. J'ai vraiment le cerveau à plat. La journée n'a pas été vraiment facile. J'aimerais bien me poser un peu, mais je sais pas encore où, alors... » Je comprends ce qu’elle veut dire. Moi aussi j’ai déjà éprouvé ça, l’envie de m’arrêter quelque part et d’y rester. Mais je n’ai jamais réussi. J’ai essayé une fois. Au bout de deux jours, je détestais déjà la ville et je ne pouvais plus attendre pour repartir. Je crois que je ne réussirai jamais à être une fille normale. Le genre de filles qui s’installent quelque part, vieillissent, trouvent un mari, font deux ou trois gosses, achètent une maison, vivent heureuses. Cette vie n’est pas pour moi. Je ne m’imagine pas vieille mais je crois que je ne quitterai jamais la route parce que c’est la chose la plus précieuse au monde à mes yeux.
Autour de nous, il n’y a rien que le silence, la route et des vastes étendues d’herbe. Elle s’assoir à côté de moi et se met à arracher des brins d’herbe. Je la sens songeuse et j’ai l’impression qu’elle se pose des questions quant à son avenir. « Tu sais, tu peux m’en parler s’il y a quelque chose qui te tracasse. » Je lui fais un grand sourire. Je ne l’oblige à rien, je veux simplement qu’elle sache que je suis là pour écouter en cas de besoin. « Tu trouves ? C'est un peu désert quand même, non ? Mais, les étoiles sont si belles ce soir que je m'en fiche bien. » Un sourire malicieux apparait sur mes lèvres. « Justement, c’est un peu comme si ce petit coin de terre n’appartenait qu’à nous. » Elle cherche son paquet de clopes dans sa poche et s’en allume une. J’accepte quand elle m’en propose une. Je la vois qui frissonne et je passe mon bras sur ses épaules. De l’autre main, j’accepte la cigarette qu’elle me tend. Je me fais la réflexion que je suis bien, ici, avec elle. « Alors, comme ça, on dort ensemble ce soir ? T'as bien de la chance, j'ai changé les draps hier soir. Et puis, c'est du cinq étoiles, grand confort, télé, clim et tout le tralala. » Je souris mais balaye ses réflexions d’un geste de la main. « Eh oui, on dort ensemble ce soir. De toute façon personne n’a besoin de la télé pour s’occuper quand on a une amie comme toi et puis le vent est frais et fera office de clim en cas de besoin. » J’aime la vie au grand air, réellement. Et je me fiche du confort que recherchent les autres. Moi, ce que j’ai, ce qu’on a ce soir, ça me suffit amplement.