RIGHT NOW, ARIZONA.

Dans le bar du motel deux étoiles situé en bord de route au fin fond de l'Arizona, personne n'aurait pu prédire que la torpeur qui avait saisi les clients en cette fin d'après-midi allait se dissiper de façon peu orthodoxe.

Mona est assise sur un tabouret haut planté au milieu de la salle sombre aux persiennes mi-closes. Une guitare à la main, une cigarette au coin des lèvres, elle égrène des accords mélancoliques avec une lenteur et une passion presque surréalistes. Elle chante pour elle-même, murmurant une chanson d'amour sans queue ni tête. Une femme la frôle alors en passant près du bar, et Mona ferme les yeux. Ce parfum.

Andrea. Son odeur, ses cheveux, son sourire. Elle, et tellement d'autres. Mona n'avait pas pensé à son ancienne amie depuis très longtemps, et le soir de leur rupture lui revient en mémoire. Une douleur sourde envahi son bas-ventre.
Mona se retrouve aussitôt sans voix, déstabilisée par ce parfum fruité qui lui rappele également pas mal de bons souvenirs. Au moment où elle allait arrêter de jouer, trop troublée pour continuer, quelqu'un lui tapote l'épaule; comme la jeune femme pensait justement à son ancienne amante, elle se retourne avec un grand sourire. Comme s'il était possible que cette dernière surgisse de nulle part pour se remettre avec elle.

«Andrea...»

Ou pas.
Un poing ornée d'une bague en acier s'écrase brutalement contre son nez, et la jeune femme est projetée par terre, sa guitare sous le bras.

«Perdu. Moi c'est Jill, espèce de pourriture.»

La propriétaire du poing vengeur semble en furie. Rousse, aux formes affolantes et aux yeux gris foudroyants, elle regarde la maigrichonne Mona en pinçant les lèvres.

«Celle que tu as laissée en plan hier soir pour aller sauter la première chaudasse venue ! Mais c'est du pareil au même hein ? Il y a eu Moi, Jenny, ma meilleure amie... Laura la strip-teaseuse.. Oh ! Et une certaine Andrea apparament.»

Notre musicienne se tient le nez, affichant un air ouvertement renfrogné. Elle marmone un «Putain...» exprimant clairement la douleur qu'elle sent valser dans ses cavités respiratoires avant de se relever en s'agrippant au tabouret.

«Bon, euh... Jill. Je crois qu'il y a un petit malentendu. J'veux dire, on n'a couché ensemble qu'une fois, et je pensais avoir été claire sur ce deal là...»

Son interlocutrice se glaçe, visiblement interloquée.

«Non mais je rêve, tu crois que tu peux me faire ça, à moi ? Tu me ridiculise et je devrais dire Amen ? T'es vraiment qu'une salope.»

Elle lui met une violente baffe, et s'éloigne à grands pas au moment où Mona pose sa guitare contre le comptoir. Se touchant la joue, elle fronçe les sourcils, remarquant que tous les clients du bar observent la scène d'un air à la fois curieux et incrédule.

«Okay... alors là, ça va chier.»

Les manches retroussés et les poings serrés, elle se précipite sur la jeune femme.

ONE YEAR AGO, CALIFORNIA.

Cela fait un bout de temps que Mona et son groupe "Ishtar" sillonnent le pays et enchaînent sans relâche les dates de concert. Ce concert-là est d'ailleurs passablement banal pour la chanteuse, et rien n'aurait pu lui faire deviner le tournant exceptionnel qu'il prendrait plus tard dans la nuit.
Andrea est également dans le public, évidemment; comme son ombre depuis qu'elles ont quitté Santa Rosa, d'aucuns la qualifient de groupie écervelée en la voyant rôder autour de Mona avec des yeux humide et la mine basse.

Mona commençe d'ailleurs à en avoir assez. Assez d'essayer de rester attentionnée avec Andrea, assez des engueulades qui suivaient immanquablement chacuns de ses écarts avec d'autres jeunes femmes. Son amante ne comprend pas qu'amour et sexe n'ont aucun lien dans son esprit.
Une jeune femme aux cheveux platine semble quand à elle parfaitement en phase avec cette idée. Depuis le début du concert, elle regarde Mona en se mordant les lèvres, accoudée à la barrière dans une pose très suggestive. Notre chanteuse et son admiratrice se lancent donc naturellement des oeillades sensuelles tandis qu'Andrea regarde le concert d'un air las et passablement ennuyé; cette attitude fini de convaincre Mona: ce soir, ce sera la blonde peroxydée du premier rang et personne d'autre. Elle parlerait à Andrea le lendemain.

Lorsque le concert se termine, et qu'Andrea part attendre en coulisses, Mona saute de la scène avec sa guitare en bandoulière. Plus vive qu'un chat, elle saisi la blonde par le cou, et l'embrasse langoureusement par dessus la barrière. La salle se vide peu à peu, et Mona attire sa groupie dans un coin; elle la plaque contre le mur, et elles continuent de se mettre en appétit tandis que les lumières s'éteignent. Petit à petit, elles se retrouvèrent dans la loge de la chanteuse, prirent un rail de coke chacune, puis entrèrent dans le vif du sujet sur le petit canapé en velours. Nue, complètement abandonnée aux désirs de la blonde, Mona n'entend pas Andrea entrer dans la pièce mais sursaute lorsque cette dernière se met à hurler.

«MONA ! MONA MAIS QU'EST-CE QUE TU FOUS ?!»

Interloquée, Mona se casse la gueule en se relevant avec précipitation, et ses yeux hagards cherchent ses fringues éparpillées sur le sol. Elle remet son jean en moins d'une seconde et s'approche d'Andrea en prenant un air désinvolte. Ses seins sont nus, mais elle fait mine d'ignorer ce détail.

«Chérie, j'te présente... Comment elle s'appelle déjà ? Et nous étions juste en train de... De discuter. Musique et tout, enfin, des trucs que tu comprends pas trop.»

Sa petite amie n'est pas dupe, évidemment. Folle de rage, elle repousse Mona qui tente de l'amadouer en se serrant contre elle. La chanteuse est blafarde, maigre, les cheveux démêlés; elle sent son univers partir en morceaux sans pouvoir y remédier.

«T'en as pas marre de jouer avec moi ? Non, je suppose que non. Je suis le petit toutou qu'on s'expose, celui dont on est fière mais dont on se lasse. Je suis la gamine à qui ont fait miroiter des rêves d'éternité. Mais tu sais quoi, tout ça, c'est fini. J'ai plus besoin de toi pour vivre. Pendant que tu prenais ton pied, sache que j'ai grandi. Sur ce, bonne continuation, madame la super star, moi j'me tire.»

Et elle se tire pour de vrai. En claquant la porte.

Mona reste planté là, à moitié nue, incapable de prononcer un mot. La blonde se lève du canapé et vient lui enserrer la taille de ses bras troués d'héroïnomane. Pendant cinq minutes, aucune des deux ne prononce un mot, jusqu'au moment où la jeune inconnue se met à rire.

«C'est ta meuf cette tarée ?»

Mona repousse alors violemment sa partenaire et se jette hors de sa loge en attrapant au passage son t-shirt qui gisait à ses pieds.

«Andrea ! Putain, putain, non...»

Elle se rue dehors pieds nus, au moment ou le van qu'elle partageait avec la jeune femme sort en trombe du parking. Elle hurle pour l'appeler, et tombe à genoux au milieu des restes de ses affaires qu'Andrea avait balancé sans ménagement par terre. Quelques larmes coulent sur ses joues lorsque Mona remarque un cadre photo exposant au monde son couple avec la fugitive. De rage, elle l'envoie se briser au loin.

«Merde. Merde, MERDE, MERDE ! »

TWO WEEKS AGO, TEXAS.

Mona entre dans un magasin de musique poussiéreux d'Amarillo qu'elle fréquente à chaque fois qu'elle revient dans cette ville. Ishtar a joué jusque tard dans la nuit, et la chanteuse est épuisée... et encore un peu défoncée. Elle ne sait plus pourquoi ou pour qui elle continue de jouer et de chanter; quelle est la raison qui l'a poussé à partir de Santa Rosa il y a deux ans. La lassitude commence à se saisir d'elle, comme chaque matin depuis déjà quelques mois.

Elle enlève son blouson de cuir qu'elle pose sur un tabouret près de la caisse enregistreuse. Le comptoir est en bois vernis agréable au touché, et la jeune femme passe ses doigts dessus en rêvassant. Une voix douce résonne derrière elle.

«Bonjour ma p'tite.
- Putain Stephen ! T'as failli me foutre une crise cardiaque !»

Mona se jette dans ses bras, et enfouit son visage dans son cou orné d'un tatouage aux couleurs vives. Le gérant et la jeune femme s'entendent à merveille depuis leur première rencontre, et jouent l'un pour l'autre le rôle de confident à chaque rare visite de la chanteuse.
Comme la boutique est vide à cette heure tardive, ils s'installent confortablement autour de la caisse; Stephen sur une chaise bancale, et Mona sur le comptoir. Ils discutent de tout et rien pendant des heures, avant d'aborder les sujets qui préoccupent vraiment la jeune femme.

«Alors mon lapin, c'est quoi cette tête ? On dirait que ça s'arrange pas, tes histoires de drogue..»

Un pâle sourire assombri le visage de Mona, et son soupire semble confirmer l'hypothèse de son ami.

«Ouai... J'suis pas très bien en ce moment... le groupe, les concerts... Les filles...
- Ouai je vois. Tu veux crever d'une overdose dans les bras d'une groupie, c'est ça ?» Il fait une pause, visiblement mécontent. «Putain Mona... t'es pas la chanteuse d'Aerosmith, faut lâcher le trip Rockstar.»

Notre chanteuse baisse la tête, un peu honteuse et complètement perdue. Elle s'allume une clope, et expire profondément. Les volutes de fumée s'envolent en direction du plafond craquelé, et Mona les contemple en évitant soigneusement le regard de Stephen. Leur discussion dure encore quelques temps et prend fin lorsque Mona écrase sa neuvième cigarette en pleurant.

Au moment ou Stephen referme la porte derrière Mona, elle se retourne, les yeux humides. Il lui fait un petit sourire, et la prend dans ses bras une dernière fois. Le mélomane lui murmure alors à l'oreille des paroles réconfortantes.

«Et n'oublie pas: si un jour tu veux raccrocher et passer à autre chose, j'ai toujours besoin d'une employée à plein temps...»

Mona se retrouve alors seule dans la rue, et s'allume une nouvelle clope. Toute cette histoire demande réflexion. Sa grande gueule ne lui sert à rien, quand il s'agit de régler ses conflits intérieurs.

Le mieux, c'est de reprendre la route.

→ Mona et son groupe Ishtar transportent leur matériel dans un minibus volkswagen mais la chanteuse utilise sa vieille décapotable rouge rouillée qu'elle a racheté à une décharge pour se déplacer et transporter le groupe (elle entretient d'ailleurs une relation incroyablement fraternelle avec ses membres).

→ Mona est une imbuvable grande-gueule. Toujours à mettre son grain de sel dans ce qui ne la regarde pas, elle débat de tout et n'importe quoi avec une ferveur presque machiavélique. Elle blague, gronde, hurle, gigote en permanence et fatigue les rabats-joie au delà du possible.

→ Mona n'a jamais terminé le lycée, et regrette énormément cette erreur. Consciente de ses lacunes en culture générale, elle compense cette faiblesse par une ruse et une vivacité d'esprit qui en surprennent plus d'un. Elle est souvent jalouse de ceux qui ont eu la chance de faire des études, elle-même n'ayant jamais été encouragée à en faire par ses parents.

→ Très bonne chanteuse, sa voix chaude et grave se prête incroyablement bien aux airs de rock et de jazz.

→ Consommatrice régulière de drogue, son état physique se dégrade de jour en jour. Son trip rock'n'roll, aussi risible qu'il puisse être, fait parti de sa vie... et il lui est impossible de s'en défaire.

→ Accro aux comicbooks, elle en trimballe une véritable collection et se lance régulièrement dans des débats sur batman et wonderwoman.

→ Mona est vulgaire. Elle jure comme un charretier et parle sans complexes de sexe et de bonnes femmes.

→ Féministe convaincue en plus d'être homosexuelle, seuls les hommes de son groupe trouvent grâce à ses yeux. Tout contact physique avec les autres la répugne, et elle milite activement contre les injustices que les femmes subissent au quotidien. Mona n'hésite d'ailleurs pas à organiser des manifestations dans les villes où elle séjourne qui sont parfois accompagnées des concerts humanitaires.

→ Tatouée, piercée, la chanteuse est l'incarnation même du style rock. Ses bras sont parsemés de symboles et le lettrages n'ayant une signification que pour elle-même. Elle a également le nombril et les tétons piercés.

→ Inconditionnelle de la bouffe Mexicaine, il y a de forte chances pour que vous la trouviez en train de gober un bourritos au piment ou des tapas à toute heure de la journée.