Santa Rosa, Nouveau-Mexique. Nous avions décidé de nous y arrêter pour quelques jours, trois jours tout au plus. Jamais nous n'avions dépassé cette limite que j'avais imposée et qui convenait parfaitement à Lilly-May. Jamais plus, c'était la règle, parce que je savais que plus de jours on restait, plus la tentation de s'installer pouvait devenir grande. Il suffisait d'un détail, d'une rencontre, d'un instant et tout pouvait basculer. Il se pouvait que Lilly rencontre quelqu'un et qu'elle ait envie de rester. Et si jamais cela arrivait un jour, je ne savais pas ce que j'allais faire. Tout simplement parce que je m'étais habitué à sa présence, elle faisait comme partie du décor, sa présence était devenue une évidence et je savais que continuer sans elle n'allait pas être pareil. Étendu sur le lit, les yeux rivés au plafond, je l'entendais, je pouvais entendre chaque mouvement qu'elle effectuait sous l'eau de la douche. Et je me suis mis à imaginer l'eau perler et glisser le long de son corps. Il fallait que je sorte, absolument, il fallait que je cesse de penser, que je contrôle mon esprit. « May, je vais faire un tour au bar. » Je l'ai entendue approuver. Alors que je m'apprêtais à sortir, Charlie me devança et sorti en premier jusqu'à ce que je réussisse à le rattraper. « Non pas ce soir Charlie, ce soir je vais profiter de ma solitude. » Ses prunelles me supplièrent de le prendre avec et il me fallut quelques secondes avant de lui refuser ce qu'il désirait tant.

« Un whisky s'il vous plaît. » Mais un whisky ce n'était jamais assez, après le premier il me fallait toujours un deuxième et ainsi de suite. La boisson était le seul plaisir que je m'autorisais lors de nos courts arrêts. La boisson et jamais rien d'autre. Depuis Eléanor, je n'avais plus touché à aucune autre femme, je n'en avais jamais éprouvé l'envie. Seulement il y avait May, qui était la seule femme pour laquelle j'éprouvais du désir. Désir que je m'interdisais. « Bonsoir. » Une voix des plus sensuelles qui me rappelait étrangement celle de ma femme. « Seriez-vous assez aimable pour offrir un verre à une femme seule comme moi ? » J'avais l'impression d'avoir déjà vécu cette scène, comme si Eléanor était de nouveau à mes côtés et que nous n'étions pas encore mariés. « L'amabilité n'est malheureusement pas mon fort. » Ce n'était pas Eléanor, Eléanor ne serait pas partie sans un mot, Eléanor aurait continué d'insister et aurait fini par obtenir ce qu'elle voulait. Elle y arrivait toujours. Me manquait-elle pour que j'arrive à penser à elle ? Cela était impossible. « Encore un autre s'il vous plaît. »

La porte s'est ouverte et j'ai su que c'était elle qui allait rentrer. Tous les regards se sont tournés vers elle et je savais d'où venait toute cette attraction pour elle. Ses cheveux. Ses cheveux qui m'avaient fait le même effet lorsque je l'avais aperçue pour la première fois. Ses cheveux qui me faisaient toujours le même effet à chaque fois que je l'apercevais. C'était comme si j'étais avec une personne totalement unique. Parfois j'avais l'impression qu'elle n'était même pas réelle, j'avais l'impression d'être toujours un enfant, lorsque je m'inventais des amis imaginaires. C'était comme si elle sortait tout droit d'un de mes rêves. Lilly-May s'est assise à mes côtés, un magnifique sourire aux lèvres comme à son habitude et je me suis demandé pourquoi elle avait décidé de rester avec moi. Je m'étais posé la question plusieurs fois sans jamais osé lui demander et je n'y étais toujours pas prêt. Je préférais m'imaginer la réponse, mais jamais encore je n'avais réussi à trouver quelque chose de plausible. « Il faut que tu choisisses notre nouvelle destination Lilly, c'est à ton tour, c'est moi qui ai choisi en dernier. » C'était devenu une habitude, nous décidions d'une destination chacun à notre tour. Allions-nous nous arrêter un jour ?

Je passais la tête sous l'eau froide, fermant les yeux, n'écoutant que le plic ploc des gouttes sur le fond de la douche. Cela faisait déjà trois jours que nous étions à Santa Rosa et le lendemain, nous devrions reprendre la route. J'avais vu le matin même, Clyde, un ami rencontré à cause d'un accrochage entre nos deux voitures, ou plutôt grâce. Emrys ne s'était encore rendu compte de rien du tout, n'ayant pas repris la voiture depuis trois jours. D'ailleurs, je n'étais pas franchement pressée qu'il s'en rende compte, sachant pertinemment que j'allais sûrement m'en prendre plein la tête, pourtant ce n'était qu'un bout de tôle froissé, rien de bien important. J'étais en vie, c'était le principal, non ? « May, je vais faire un tour au bar. » Je ré-ouvrais mes yeux au son de sa voix. Il était là, de l'autre côté de la porte, à quelque mètre, attendant sûrement une réponse que je marmonnais, un léger « D'accord. » J'entendais alors Charlie courrir à travers la chambre du motel, il devait penser qu'il allait pouvoir sortir. Pauvre petit Chat, ce n'était pas son heure. Dès que j'entendis la porte se fermer derrière Emrys, je sortais de la douche, m'entourant d'une serviette. Je ne savais pas trop ce que je faisais là, ce que j'attendais. Pourquoi étais-je montée dans sa voiture ? Pourquoi l'avais-je suivi jusqu'ici ? Je n'en avais strictement aucune idée, mais il faisait maintenant entièrement parti de ma vie et je ne m'imaginais pas reprendre la route seule. Passant ma main dans mes cheveux rose clair, ceux que j'avais teint de la même manière que Charlotte Free, ma marque de fabrique, mes cheveux de couleurs, je regardais mon reflet dans le miroir et finissais par m'habiller revêtant un simple short en jean et un petit top tout simple noir. De toute manière, je n'en avais rien à foutre de ce que les autres pensés de moi.

Sortant de la salle-de-bain, je m'agenouillais à côté de Charlie, passant ma main affectueusement sur la tête du chien. « « Tu ne fais pas de bêtises, unh Charlie ? Tu m'attends et surtout, si Emrys rentre avant moi, ne lui dit pas pour ma petite escapade en voiture de l'autre fois. Je t'aime petit chat. » Je collais mes lèvres sur son front et sortais de la pièce, fermant derrière moi à clé puis courant dans les escaliers, dans la rue, la traversant devant un conducteur, lui adressant un petit signe de la main en réponse à son bras d'honneur et rentrais dans le bar alors que toutes les têtes se retournaient vers moi. Un grand sourire se dessinant sur mes lèvres, je repérais imédiatement Emrys et allais prendre place à côté de lui. « Il faut que tu choisisses notre nouvelle destination Lilly, c'est à ton tour, c'est moi qui ai choisi en dernier. » Je regardais alors mon compagnon de route, n'ayant encore aucune idée de où nous irions, je me levais, prenant sa main dans la mienne je l'entraînais dans un coin du bar où je lâchais sa main, d'un air un peu surprise finalement par ce contact. « Désolée de vous interrompre messieurs, je peux jouer ? » Les hommes qui étaient en train de jouer aux fléchettes me regardèrent surpris et un peu bouche-bée ne sachant trop que dire que le coup, l'un d'entre eux me passa les siennes, en profitant pour glisser sa main dans le bas de mon dos me poussant ainsi jusqu'à la cible. Lui retournant une claque en pleine figure, je retorquais. « Ce n'est pas à cela que je veux jouer. » Je tournais alors le stalons, me rendant jusqu'à une grande carte des Etats-Unis et fermant les yeux, je demandais à Emrys de me faire tourner sur moi même et de m'arrêter face à la carte, ce qu'il fit sans trop poser de question. J'envoyais alors la fléchette. « Texas, en plein dans le mille. Si j'avais sû, j'aurais choisi moi-même. »

Nous n'étions pour l'instant jamais allé faire un tour au Texas, j'avais réussi à éviter cela à chaque fois mais cette fois-ci, j'avais décidé de laisser choisir le destin, de laisser choisir la fléchette et je me voyais contrainte de retourner là-bas. Le point de départ. L'endroit où tout avait commencé, l'endroit où ma vie avait commencé. Je me retournais vers Emrys et lui souriais, simplement, avant d'aller rendre ses fléchettes à l'autre homme. « Dis, Emrys, je me demandais si ce ne serait pas une bonne idée que tu me donnes des leçons de conduite.. Tu sais, on sait jamais, tu pourrais avoir un accident grave ou bien tu pourrais faire une attaque au volant et dans ces cas-là tu serais obligé de mourrir parce que je ne sais pas conduire. Ce serait bête tu ne trouves pas, parce que je ne voudrais pas que tu meurs par ma faute, en fait je ne voudrais pas que tu meurs tout court. »

Ma main dans la sienne. Cela devait être la première fois que ce contact avait lieu. Nous avions beau vivre ensemble depuis quelques temps maintenant, rares étaient les fois où il arrivait que nos peaux se rencontrent. Ce moment ne dure d'ailleurs que quelques secondes, cinq tout au plus. « Désolée de vous interrompre messieurs, je peux jouer ? » Lilly-May était un véritable mystère, un surprise. La vie à ses côtés devenait imprévisible. Je savais que jamais je ne la comprendrais. Elle était trop étrange, trop changeante. Je ne comprenais pas de quoi elle parlait, pourquoi donc voulait-elle jouer aux fléchettes ? Et pourquoi avec eux ? Ils ne comprenaient pas non plus. J'étais aussi idiot qu'eux. C'est à ce moment-là qu'il posa sa main dans le bas de son dos, c'est à ce moment-là que mes ongles s'enfoncèrent dans la paume de ma main, c'est à ce moment-là que je sentis mon poing se lever, lentement. Trop tard, elle avait déjà frappé avant moi. La jalousie, cela faisait longtemps que je n'avais plus ressentis ce sentiment. « Ce n'est pas à cela que je veux jouer. » Je la suivis sans un mot, exécutant tout ce qu'elle me demandait sans broncher jusqu'à ce que je finisse enfin par comprendre l'évidence. Elle allait choisir notre nouvelle destination. « Texas, en plein dans le mille. Si j'avais sû, j'aurais choisi moi-même. » La jolie créature semblait pensive, mais pas comme à son habitude, pas comme lorsqu'elle était perdue dans ses rêves. C'était différent. J'aurais voulu dire quelque chose, mais aucune parole ne semblait avoir envie de sortir de ma bouche. Alors je n'ai rien fait, je suis resté muet. L'alcool me rendait-il idiot ? C'était fort possible.

« Dis, Emrys, je me demandais si ce ne serait pas une bonne idée que tu me donnes des leçons de conduite.. Tu sais, on sait jamais, tu pourrais avoir un accident grave ou bien tu pourrais faire une attaque au volant et dans ces cas-là tu serais obligé de mourrir parce que je ne sais pas conduire. Ce serait bête tu ne trouves pas, parce que je ne voudrais pas que tu meurs par ma faute, en fait je ne voudrais pas que tu meurs tout court. » Était-ce pour moi ou pour elle qu'elle me demandait cela ? Ses paroles laissaient entendre que c'était pour moi, pour ne pas que je meure. Je trouvais l'idée étrange, j'avais beau essayer, il m'était impossible d'imaginer Lilly-May au volant. « Et puis comme ça si je meurs, tu n'auras plus besoin de faire du stop, tu reprendras la route avec ma voiture » dis-je en riant. « Cela ne me dérange pas, mais j'avoue que l'idée me fait un peu peur ... Es-tu sûre de ce que tu veux ? Je pense justement que t'apprendre à conduire pourrait directement nous conduire vers la mort. Tu as déjà essayé au moins ? Ou est-ce que je dois tout t'apprendre ? »